SOCIÉTÉS/CULTURE : Jérémie est-elle toujours la cité des poètes ?
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le tout au pluriel magazine via une courtoisie du lenouvelliste..com
Rue Brice Ainée. Dix heures. Vendredi 30 décembre 2022. Les rayons du soleil brillent sur ma tête. La chaleur est insupportable, accablante. Je marche à petits pas à côté de mon collègue Ritzamarum Zétrenne. Nos pas sont lourds, bercés par le roulis de la mer qui embrasse toute la ville. On la voit de partout. Quand je marche dans les rues de Jérémie, la mer est toujours ma plus fidèle compagne. Sa douce brise me caresse le visage. Ritzamarum Zétrenne et moi, nous allons à la résidence du poète Maurice Léonce pour réaliser une interview sur sa vie d’artiste et de footballeur professionnel. Malgré l’heure matinale, les rues sont peuplées de jeunes demoiselles belles comme des actrices de cinéma. La ville s’active ; les marchandes, le bruit des klaxons, la musique omniprésente. Un air de fête.
Le poète habite dans un quartier mouvementé. Une ancienne maison avec de jolies portes et fenêtres. La porte d’entrée est cadenassée. La maison est vide. Je frappe quand même à sa porte. L’écho du bruit de la ville résonne à l’intérieur. Le temps passe et le soleil tape de plus en plus dur. La sueur inonde ma chemise. J’hésite avant de composer le numéro du poète. Aucune réponse. Comment retourner à Port-au-Prince sans faire une interview avec le poète ? Une interview avec Maurice Léonce restera dans les archives du journal. Avec ses 101 ans d’existence, il est l’écrivain le plus âgé du pays. Le poète est peut-être en train de siroter une tasse de thé quelque part dans cette ville. Je m’inquiète devant l’imminence de mon échec et Zétrenne adopte sa mine des mauvais jours. J’adresse la parole à un jeune homme debout en face de la maison. « Bonjour. Je suis journaliste culturel. J’ai un rendez-vous avec Maurice Léonce ce matin. L’as-tu vu ? » Le jeune homme hausse vaguement les épaules. De nouveau j’appelle Maurice Léonce qui, cette fois, décroche du premier coup. « Je suis à l’auberge situé tout de suite après le complexe du quartier de Bordes », me dit-il d’une voix rassurante et pleine de chaleur.
Le quartier de Bordes est paisible. Les jardins sont imprégnés d’un parfum intense de jasmin et de magnolia. Un nuage de poussière s’élève à chaque passage d’un véhicule. Nous pénétrons dans la cour de l’auberge avec soulagement. Une cour entourée d’arbres divers. Les fleurs son bien taillées. La cour est calme. Le soleil a disparu entre les amandiers. Avec un sourire aux commissures des lèvres, le poète nous serre la main. Il porte élégamment une chemise rouge. Son regard est extraordinairement vif. Il garde encore l’enfance dans ses gestes. Il nous fait signe de nous asseoir autour sa table de travail. Comment écrit-on à Jérémie, Maurice ? Selon vous, la ville est toujours la cité des poètes ?
Avec beaucoup d’émotions dans la voix, il lève sa main vers la ville. « Regarde la topographie de la ville. Quand tu es à l’intérieur de la ville, tu as l’impression que tout est poésie. La ville est un poème. Une musique. Bien qu’elle ait perdu son charme, elle reste Jérémie. Je vois encore toute la splendeur de la ville que j’ai connue jadis ».
Maurice Léonce a grandi dans cette ville aux mille couleurs et solitudes. Danseur, footballeur, poète, avec un esprit plein de bonté et de droiture, il porte encore cette ville dans ses entrailles. Maurice se souvient de ses premiers acrostiches dictés par des histoires d’amour et de chagrins. Son plus beau souvenir dans cette ville, c’est sa rencontre avec Etzer Vilaire, l’un des plus grands poètes jérémiens, « J’ai connu Tonton Etzer. C’était un homme mince et très maladif. Il ne parlait jamais à personne. Il était toujours plongé dans un silence inquiétant. Un grand poète. Nous habitions la même rue ». Maurice a connu Timothé Paret, Fernand Brière, Roland Chassagne. Il porte les vers de tous les poètes jérémiens dans son cœur.
Quand il est mort, le poète
Maurice ne veut pas de discours quand il sera mort. Pas de prière non plus. Pas de peine. « Je veux seulement une fleur rose et deux ballons de football sur mon cercueil ». Quand le centenaire était jeune, il récitait des poèmes à qui voulait l’entendre; il jouait au foot et dansait dans les soirées. Toute la ville était à ses pieds. Le matin, pas de café. Pas de cigarette. Jérémie est toujours au centre de ses poèmes.
« Jérémie se réveille en souriant
Sous les rayons du soleil tropical
Dans sa longue et soyeuse chevelure ».
Maurice Léonce a encore une longue vie devant lui. Nous avons rencontré un jeune homme centenaire qui n’a rien oublié. Les dates, les histoires. Tous les souvenirs de la ville sont en lui. Il respire la poésie au quotidien et aujourd’hui, il prend plaisir à partager son savoir-faire. Maurice Léonce est une source d’inspiration pour toutes les générations de poètes de la ville. Il croit encore que Jérémie est la cité des poètes. Avec Darly Renois, Joaner Gelin Sulface, Evains Wêche, Caldwel Appolon, Baton Legba et Louis Jean Gounod. Le flambeau restera allumé.
Marc Sony Ricot
le Nouvelliste
Auteur.
LE 5 Janvier 2023
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